Primauté du droit communautaire en matière de TVA : la CJCE se prononce sur la pratique nationale hongroise

Résumé
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Dans une affaire mettant en cause la pratique nationale de la Hongrie par rapport à la législation européenne sur la TVA, Global Ink Trade, un grossiste hongrois, a contesté le refus de sa déduction de la TVA pour des fournitures de bureau achetées auprès d'une société écran, Office Builder.
Plusieurs questions fondamentales se posent dans cette affaire, notamment le fait que la Cour suprême hongroise continue d'imposer des conditions nationales supplémentaires au droit de déduire la TVA, la question de savoir si les tribunaux nationaux doivent suivre les décisions de la CJCE même lorsqu'elles sont en conflit avec la jurisprudence nationale établie, et la mesure dans laquelle un assujetti peut être tenu de vérifier la légitimité et la conformité fiscale de son fournisseur sans que cela ne constitue une charge inéquitable.
Contexte de l'affaire
Entre juillet 2012 et 2013, Global Ink a acheté des fournitures de bureau sur la base de la facture émise par la société Office Builder. Après avoir enquêté sur Office Builder, l'administration fiscale a découvert qu'il s'agissait d'une société fictive, sans activité commerciale réelle.
De plus, Office Builder n'a pas rempli toutes ses obligations fiscales et son directeur, qui a été arrêté par la suite, a nié avoir émis la facture ou même avoir eu des relations avec Global Ink. En outre, l'enquête a permis de déterminer que la communication entre ces deux sociétés se faisait par l'intermédiaire d'une adresse électronique qui n'était pas officiellement liée à Office Builder.
Tout au long de l'enquête, l'administration fiscale a interrogé plusieurs témoins qui ont confirmé que Global Ink avait bien reçu les marchandises. En outre, le directeur de Global Ink a précisé qu'il avait commencé à travailler avec Office Builder après avoir vu l'annonce dans le journal, vérifié les coordonnées de l'entreprise dans le registre du commerce et rencontré un représentant une fois en personne. Après cette rencontre, toute la communication s'est faite par courrier électronique.
Malgré ces affirmations, l'administration fiscale a estimé que les factures émises par Office Builder à l'intention de Global Ink n'étaient pas fiables, car le directeur de la société a nié les avoir émises. Sur la base de ces constatations, l'administration fiscale a conclu que les transactions enregistrées sur ces factures n'avaient pas réellement eu lieu entre les deux sociétés, refusant ainsi à Global Inks le droit de déduire la TVA figurant sur les factures.
En outre, l'administration fiscale a déclaré que Global Ink n'avait pas fait preuve de la diligence nécessaire pour vérifier qui était réellement son fournisseur et s'il remplissait ses obligations fiscales, ce qui équivalait à une participation passive à l'évasion fiscale. Global Ink a contesté ces conclusions devant la Haute Cour de Budapest, faisant valoir que le refus du droit de déduire la TVA était injustifié parce que l'administration fiscale avait fondé ses conclusions sur des hypothèses non prouvées et n'avait pas supporté la charge de la preuve d'éventuelles irrégularités.
La Haute Cour a noté qu'en 2020, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) avait déjà interprété les dispositions pertinentes de la directive TVA de l'UE dans des affaires hongroises comparables. Néanmoins, la Cour suprême hongroise a continué à appliquer sa jurisprudence nationale antérieure, qui imposait effectivement des conditions supplémentaires à l'exercice du droit de déduire la TVA qui ne figurent pas dans la directive TVA de l'UE.
L'approche de la Cour suprême a pour conséquence d'obliger les assujettis à mener des enquêtes approfondies sur leurs fournisseurs, et notamment à vérifier si ces derniers ont correctement déclaré et payé la TVA, ce qui est contraire à la jurisprudence de la CJCE. Étant donné que les précédents de la Cour suprême lient formellement la High Court, celle-ci doit justifier toute décision qui s'en écarte. C'est pourquoi la High Court a décidé de suspendre la procédure et de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJCE.
Principales questions de la demande de décision
Dans sa première question, la High Court demande si la Cour suprême a violé la primauté du droit communautaire et le droit à une protection juridictionnelle effective en vertu de la Charte de l'Union européenne lorsqu'elle a interprété que l'arrêt de la CJCE ne contenait rien qui puisse infirmer son approche antérieure ou l'obliger à modifier sa jurisprudence nationale établie.
La question suivante vise à déterminer si la primauté du droit communautaire impose aux juridictions nationales de dernière instance de suivre les arrêts de la CJCE même lorsqu'elles estiment que des décisions antérieures de l'UE appuient leur jurisprudence nationale existante. En outre, la Haute Cour souhaite savoir si la réponse à cette question change lorsque la CJCE rend une décision sous la forme d'une ordonnance.
La troisième question vise à déterminer si, en vertu de l'obligation générale de diligence prévue par la directive européenne sur la TVA, un assujetti peut être obligé de maintenir un contact personnel avec l'émetteur de la facture ou de communiquer uniquement par l'intermédiaire de l'adresse électronique officiellement enregistrée du fournisseur pour pouvoir bénéficier d'une déduction de la TVA. Elle demande également si ces exigences constituent un manquement à l'obligation de diligence, même si l'assujetti avait déjà effectué des vérifications avant de nouer la relation d'affaires.
En outre, la Haute Cour a demandé des éclaircissements sur la question de savoir s'il est conforme à la directive TVA de l'UE et à la jurisprudence de la CJCE qu'un pays de l'UE refuse à un assujetti le droit de déduire la TVA sur des factures qui sont formellement conformes à la directive, au seul motif que l'assujetti n'aurait pas fait preuve de la diligence requise au sens large du terme.
Par ailleurs, la Haute Cour souhaitait savoir si l'administration fiscale peut considérer le simple refus d'un directeur de fournisseur comme un fait objectif démontrant un manque de diligence. Enfin, dans sa dernière question, la Cour de renvoi a demandé si la simple découverte par une autorité fiscale que les biens figurant sur les factures sont d'origine européenne et que l'assujetti est le deuxième membre d'une chaîne de livraison, où le premier acheteur ne peut pas déduire la TVA mais le second le peut, constitue un fait objectif suffisant pour établir l'évasion fiscale.
Article de la directive TVA applicable
La CJCE a souligné que les articles 167, 168(a), 178(a) et 273 étaient les plus pertinents en l'espèce. Alors que les articles 167 et 168, point a), définissent quand et sur quelles opérations naît le droit de déduire la TVA, l'article 178, point a), exige que, pour exercer cette déduction, l'assujetti détienne une facture répondant aux exigences formelles de la directive TVA de l'UE.
L'article 273 définit que pour imposer des obligations supplémentaires afin d'assurer une collecte correcte de la TVA et de prévenir la fraude, les pays de l'UE doivent respecter l'égalité de traitement entre les opérations nationales et transfrontalières et ne doivent pas créer de formalités liées à la circulation transfrontalière des biens.
Règles nationales de la Hongrie en matière de TVA
Dans cette affaire, la CJCE n'a pas pris en compte les règles et réglementations nationales en matière de TVA, car elle a mis l'accent sur la primauté du droit de l'UE sur les règles nationales.
Importance de l'affaire pour les assujettis
L'affaire concerne plusieurs principes fondamentaux de la TVA, notamment la primauté du droit de l'UE, la neutralité fiscale, la sécurité juridique, le droit de déduire la TVA, la charge de la preuve, la diligence raisonnable et l'efficacité du droit de l'UE. Plus précisément, la CJCE clarifie les droits et les responsabilités des assujettis dans le cadre du système de TVA de l'UE, notamment leur droit de déduire la TVA en amont et les limites de leurs obligations en matière de diligence raisonnable.
Analyse des conclusions de la Cour
À titre préliminaire, la CJCE a répondu conjointement à la première et à la deuxième question, en les interprétant comme demandant si la primauté du droit de l'UE empêche les règles nationales exigeant que les juridictions inférieures suivent les décisions des juridictions supérieures, même lorsque ces juridictions inférieures estiment que l'approche de la juridiction supérieure est en conflit avec le droit de l'UE.
En outre, la CJCE a dû se prononcer sur la recevabilité de ces questions, le gouvernement hongrois ayant soutenu qu'elles étaient irrecevables. La raison principale en était que, selon le gouvernement, la Haute Cour conteste simplement les décisions antérieures de la Cour suprême dans les affaires qui ont conduit aux ordonnances de la CJCE, même si ces affaires antérieures n'ont pas de lien direct avec le litige actuel. Néanmoins, la CJCE a jugé les questions recevables et a déclaré qu'elles se rapportaient directement au litige et qu'elles n'étaient pas hypothétiques.
Sur le fond de ces questions communes, la CJCE a rappelé qu'en vertu du principe de primauté du droit de l'UE, toutes les autorités nationales doivent assurer la pleine efficacité du droit de l'UE, et que les pays de l'UE ne peuvent pas s'appuyer sur des dispositions nationales pour affaiblir ou limiter cet effet. Par conséquent, lorsqu'une juridiction nationale saisit la CJCE d'une question et reçoit une interprétation des règles de l'UE, elle doit appliquer cette interprétation lorsqu'elle statue sur l'affaire.
Lorsque la juridiction nationale constate que l'interprétation de la CJCE est incompatible avec l'approche de la juridiction nationale supérieure, elle doit écarter ce précédent national, même si le droit national l'oblige généralement à le suivre.
En conséquence de cette interprétation, et compte tenu de l'obligation d'assurer la primauté et l'efficacité du droit de l'UE, les juridictions inférieures doivent ignorer la jurisprudence nationale contraignante et, le cas échéant, modifier les interprétations judiciaires établies qui sont en conflit avec le droit de l'UE. En outre, le fait que l'interprétation soit fournie dans un jugement formel ou dans une ordonnance motivée n'est pas pertinent, car les deux ont la même autorité et le même effet juridique.
Comme pour les première et deuxième questions, la CJCE traite les troisième à cinquième questions ensemble. Par conséquent, la question principale est de savoir si la directive TVA de l'UE empêche une administration fiscale de refuser à un assujetti le droit de déduire la TVA en amont uniquement parce que l'administration fiscale considère que les factures ne sont pas fiables, sur la base du manque supposé de diligence de l'assujetti et des conseils d'une circulaire de l'administration fiscale.
À cet égard, la CJCE a souligné que, selon une jurisprudence constante, le droit de déduire la TVA en amont est un élément fondamental du système de TVA de l'UE. Toutefois, pour exercer ce droit, un assujetti doit remplir les conditions de fond et de forme énoncées dans la directive TVA de l'UE.
En ce qui concerne les conditions de fond, la directive TVA de l'UE en définit deux. La première est que le demandeur doit être un assujetti, et la seconde exige que les biens ou services utilisés en amont soient fournis par un autre assujetti et utilisés pour les activités imposables en aval de l'assujetti. En outre, la condition formelle exige que les assujettis soient en possession d'une facture émise en bonne et due forme. Il est à noter que toutes ces conditions ne sont remplies que si la livraison de biens ou la prestation de services sous-jacente a eu lieu en premier lieu.
Néanmoins, une demande de déduction de la TVA peut être refusée si des preuves objectives montrent que la déduction est demandée à des fins frauduleuses ou abusives. Ainsi, même si toutes les conditions sont remplies, les autorités nationales et les tribunaux doivent refuser la déduction si la fraude ou l'abus est prouvé. Le refus de la déduction de la TVA s'applique à la fois lorsque l'assujetti commet lui-même la fraude et lorsqu'il est prouvé qu'il savait ou aurait dû savoir que son achat faisait partie d'un système frauduleux en matière de TVA.
Le refus du droit étant une exception au principe fondamental, la charge de la preuve incombe à l'administration fiscale. Toutefois, la directive européenne sur la TVA ne fixe pas d'exigences ou de procédures spécifiques en matière de preuve. Par conséquent, les pays de l'UE doivent définir des règles nationales qui ne compromettent pas l'efficacité de la législation européenne. Même si les assujettis doivent faire preuve d'une plus grande prudence lorsqu'il existe des indices de fraude au moment de l'acquisition, les pays de l'UE ne peuvent pas obliger les assujettis à effectuer des vérifications complexes et approfondies que l'administration fiscale peut elle-même réaliser.
La CJCE a interprété la sixième question comme demandant si, lorsqu'une autorité fiscale cherche à refuser à un assujetti le droit de déduire la TVA en amont au motif qu'il a participé à une fraude de type "carrousel TVA", la directive TVA de l'UE empêche l'autorité fiscale de se fonder uniquement sur le fait que la transaction fait partie d'une chaîne de facturation circulaire, sans identifier tous les opérateurs impliqués et leur comportement.
La jurisprudence constante fixe l'exigence de preuve qui interdit à l'administration fiscale de s'appuyer sur des hypothèses ou des présomptions qui déplacent la charge de la preuve sur l'assujetti, car cela porterait atteinte au droit fondamental à la déduction de la TVA et à l'efficacité de la législation européenne.
Décision finale de la Cour
En fin de compte, la CJCE a statué que le principe de la primauté du droit de l'UE exige qu'une juridiction nationale ignore les décisions juridiques d'une juridiction nationale supérieure si elle les considère comme incompatibles avec l'interprétation du droit de l'UE donnée par la CJCE, que ce soit dans un arrêt ou dans une ordonnance motivée.
Deuxièmement, la CJCE a conclu que les articles 167, 168(a) et 178(a) de la directive TVA de l'UE n'interdisent pas aux autorités fiscales de refuser à un assujetti le droit de déduire la TVA lorsque les factures ne sont pas crédibles en raison de circonstances démontrant un manque de diligence, évaluées conformément à une circulaire destinée aux assujettis. Toutefois, dans de tels cas, l'administration fiscale doit fournir des preuves objectives de la fraude, ne pas exiger des assujettis qu'ils effectuent des contrôles complexes, appliquer les règles de manière cohérente avec la circulaire, et s'assurer que la circulaire est claire et prévisible.
Enfin, la CJCE a souligné que la directive européenne sur la TVA doit être comprise comme signifiant qu'une administration fiscale ne peut pas refuser à un assujetti le droit de déduire la TVA simplement en montrant que la transaction fait partie d'une chaîne de facturation circulaire.
Au contraire, l'administration fiscale doit fournir une description claire des éléments de la fraude, prouver le comportement frauduleux et déterminer que l'assujetti a participé activement à la fraude ou savait, ou aurait dû savoir, que l'acquisition des biens ou des services était liée à cette fraude, sans qu'il soit nécessaire d'identifier tous les autres opérateurs impliqués.
Conclusion
En définitive, la CJCE a souligné la nécessité de trouver un équilibre entre la protection des droits des assujettis et la possibilité pour les autorités fiscales de lutter contre la fraude à la TVA. La CJCE a également confirmé que le droit de déduire la TVA est un droit fondamental, soulignant que le droit de l'UE prime sur les règles nationales qui imposent des obligations supplémentaires. En fin de compte, si les autorités fiscales ne peuvent refuser les déductions que sur la base de preuves objectives de fraude, elles ne peuvent pas le faire sur la base de simples suppositions ou de l'existence de chaînes de facturation circulaires.
Source: affaire C-537/22 Affaire C-537/22 - Global Ink Trade Kft. contre la division des appels de l'administration nationale des impôts et des douanes., Directive européenne sur la TVA
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