Affaire C-613/23 : Proportionnalité dans l'assujettissement des administrateurs à la TVA aux Pays-Bas

L'affaire C-613/23, présentée devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), soulève des questions cruciales sur l'interaction entre les réglementations nationales néerlandaises et le droit de l'Union européenne (UE), en particulier en ce qui concerne le principe de proportionnalité. L'élément central de cette affaire est la responsabilité conjointe et solidaire des administrateurs pour les dettes de TVA contractées par une société, et la question de savoir si les réglementations nationales imposant une telle responsabilité s'alignent sur les limites du droit de l'Union européenne. Cet arrêt fournit non seulement des indications essentielles pour l'interprétation de l'article 273 de la directive 2006/112/CE, mais il a également des implications significatives pour les pratiques fiscales et les responsabilités personnelles des administrateurs.
Contexte de l'affaire
L'affaire a débuté aux Pays-Bas, où KL, ancien directeur d'une société, a été tenu responsable des dettes de TVA impayées par la société. Les dispositions pertinentes de la loi néerlandaise Invorderingswet 1990 (loi de 1990 sur la perception de l'impôt) établissent que les administrateurs peuvent être tenus conjointement et solidairement responsables si une société manque à son obligation d'informer en temps voulu les autorités fiscales de son incapacité à payer les dettes fiscales. Cette obligation de notification est cruciale car elle permet aux autorités fiscales de prendre des mesures en temps utile pour protéger les recettes. Si l'obligation de notification n'est pas respectée, il est présumé que le directeur s'est livré à une gestion manifestement irrégulière, à moins qu'il ne puisse apporter la preuve du contraire. Dans ce cas précis, KL a fait valoir qu'il avait agi avec la diligence d'un entrepreneur prudent et que le non-respect de l'obligation de notification ne lui était pas imputable.
Questions préjudicielles et droit communautaire
Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a posé deux questions préjudicielles à la CJUE, concernant toutes deux la compatibilité de la réglementation néerlandaise avec le principe de proportionnalité énoncé à l'article 273 de la directive TVA. L'article 273 confère aux États membres le pouvoir d'imposer des obligations supplémentaires aux assujettis et à d'autres parties afin d'assurer la bonne perception de la TVA et de prévenir la fraude. Toutefois, le droit communautaire exige que ces mesures n'excèdent pas ce qui est nécessaire et qu'elles respectent des principes généraux tels que la proportionnalité et la sécurité juridique.
La première question
La première question portait sur la conformité au principe de proportionnalité de la réglementation néerlandaise, qui fait qu'il est exceptionnellement difficile pour un administrateur d'échapper à sa responsabilité si la société ne remplit pas son obligation de notification. Plus précisément, le système néerlandais crée une présomption de gestion irrégulière en l'absence de notification, ce qui fait peser la charge de la preuve sur l'administrateur. La Cour a été chargée de déterminer si cette présomption et la lourde charge de la preuve imposée aux administrateurs allaient au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts des autorités fiscales.
Dans son analyse, la Cour a reconnu que les États membres disposent d'un large pouvoir d'appréciation en vertu de l'article 273 pour mettre en œuvre des mesures visant à préserver la perception de la TVA. Toutefois, elle a rappelé que ces mesures ne doivent pas imposer une charge excessive. Un système qui rendrait la responsabilité des administrateurs inévitable, indépendamment de leur bonne foi ou de leur diligence, constituerait une violation du principe de proportionnalité. La Cour a souligné que les administrateurs doivent avoir une possibilité réaliste de présenter toutes les circonstances pertinentes et de prouver qu'ils ont agi avec la diligence requise. Cela inclut le recours à des conseils d'experts, des circonstances imprévisibles ou d'autres raisons valables expliquant le manquement de la société à ses obligations de notification.
La deuxième question
La deuxième question portait sur le fait de savoir si un administrateur ayant agi de bonne foi et fait preuve d'une diligence raisonnable pouvait être tenu pour responsable de dettes spécifiques au titre de la TVA, même si la société n'avait pas informé les autorités. Cette question portait sur l'équité de tenir un administrateur personnellement responsable lorsque son comportement n'a pas contribué au non-paiement des taxes.
La Cour a examiné les principes plus larges d'équité et de proportionnalité dans le contexte de la responsabilité. Elle a jugé que les administrateurs qui ont agi avec la diligence d'un entrepreneur prudent et de bonne foi ne doivent pas être indûment pénalisés. La responsabilité doit être limitée aux circonstances où il existe un lien de causalité clair entre les actions (ou l'inaction) de l'administrateur et l'incapacité de la société à remplir ses obligations fiscales. En outre, la Cour a souligné que la conception du règlement doit permettre de limiter la responsabilité aux périodes spécifiques au cours desquelles le comportement inapproprié a eu lieu. Cette nuance permet de s'assurer que les administrateurs ne sont pas injustement mis à contribution pour des actions ou des omissions échappant à leur contrôle ou à leur responsabilité.
Analyse de la Cour
La Cour a noté que les réglementations nationales imposant une responsabilité conjointe et solidaire relèvent généralement du pouvoir discrétionnaire des États membres, à condition qu'elles respectent les limites de l'article 273 et les principes généraux du droit de l'UE. Le principe de proportionnalité est au cœur de cette analyse. Ce principe exige que les mesures soient propres à atteindre l'objectif visé - en l'occurrence, assurer la perception des impôts - et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire. La Cour a souligné qu'un système de responsabilité inconditionnelle serait disproportionné lorsque la personne concernée n'a aucune influence sur les actions de l'entité imposable. Or, en l'espèce, KL était administrateur de la société et donc impliqué dans ses processus décisionnels, ce qui signifie qu'il ne pouvait pas être considéré comme totalement détaché des actions de la société.
Principales conclusions et implications pratiques
La Cour a jugé que la réglementation néerlandaise était conforme au droit communautaire, à condition que les administrateurs aient la possibilité de présenter toutes les circonstances pertinentes pour réfuter leur responsabilité. Cela signifie que les administrateurs ne devraient pas être limités à invoquer la force majeure, mais devraient également être autorisés à s'appuyer sur d'autres facteurs, tels que le fait d'avoir agi de bonne foi ou d'avoir demandé l'avis d'un expert. En outre, la Cour a noté que l'obligation de notification elle-même n'impose pas une charge disproportionnée aux administrateurs, étant donné que le respect de cette obligation implique des actions administratives relativement simples.
Cet arrêt a des implications importantes pour la pratique fiscale. Il confirme que les mesures nationales visant à protéger les recettes fiscales ne doivent pas imposer une charge disproportionnée aux administrateurs, en particulier dans les cas où ils ne portent pas de responsabilité directe ou ont manifestement agi avec prudence. En même temps, elle souligne l'importance d'un respect opportun et précis des obligations de notification. Pour les administrateurs, cela implique une approche proactive de l'identification et de la déclaration des difficultés financières, tandis que les conseillers fiscaux jouent un rôle crucial en aidant les administrateurs à remplir ces obligations.
En outre, la Cour a souligné que le règlement est proportionné parce qu'il permet aux administrateurs de limiter leur responsabilité à des périodes fiscales spécifiques. Cela signifie qu'un administrateur ne peut être tenu responsable de dettes contractées au cours de périodes où il n'était pas responsable ou au cours desquelles l'obligation de notification a été correctement remplie. Cette nuance permet d'éviter que les administrateurs ne soient injustement surchargés et garantit une application plus équilibrée de la loi.
Conclusion
L'affaire C-613/23 représente une décision importante dans la jurisprudence du droit fiscal, car elle offre un cadre clair pour l'évaluation des réglementations nationales en matière de responsabilité dans le contexte du droit de l'UE. En abordant les deux questions, la CJUE a clarifié les limites de la proportionnalité et de l'équité dans la mise en cause de la responsabilité des administrateurs. Cet arrêt souligne la nécessité de trouver un équilibre entre la protection des recettes publiques et les droits des personnes.
D'un point de vue pratique, cette décision souligne l'importance d'une sensibilisation accrue des dirigeants à leurs responsabilités, ainsi que la nécessité de faire preuve de diligence dans la conception et la mise en œuvre des réglementations fiscales nationales. En maintenant cet équilibre, l'arrêt contribue à un système fiscal équitable et efficace au sein de l'Union européenne.

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