Affaire C-741/22 : Casino de Spa SA et exonération de la TVA pour les services de jeux en ligne

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L'affaire opposant Casino de Spa SA et d'autres membres du groupe TVA Gaming Ardent, qui fournit des services de jeux de hasard en ligne, au Service public fédéral belge (SPF Finances) est l'une des affaires les plus importantes de la CJCE pour les sociétés opérant dans le secteur des jeux de hasard, des paris et des loteries, ainsi que pour l'ensemble de ce secteur.
L'affaire dite Casino de Spa SA fournit des indications et des conclusions précieuses sur la question de savoir si un pays de l'UE peut traiter les jeux d'argent et autres jeux de hasard en ligne différemment des établissements de jeux plus traditionnels, tels que les services de jeux terrestres ou analogiques, en ce qui concerne les règles applicables en matière de TVA.
Contexte de l'affaire
Jusqu'en 2016, les services de jeux d'argent en ligne étaient exonérés de TVA en vertu de la législation nationale belge. Toutefois, le 1er juillet 2016, la disposition prévoyant l'exonération de ces services de la TVA a été abrogée, soumettant ainsi les jeux d'argent en ligne à la TVA. La décision d'abolir l'exonération de la TVA a toutefois été annulée en 2018 par la Cour constitutionnelle belge, car elle violait les règles de répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les autorités régionales.
Néanmoins, la Cour constitutionnelle n'a pas examiné d'autres arguments juridiques, tels que la question de savoir si les dispositions étaient contraires au droit de l'UE ou aux principes de neutralité fiscale. En outre, elle a autorisé la disposition à rester en vigueur pour les taxes déjà perçues avant l'annulation, étant donné que le remboursement de ces paiements entraînerait des problèmes financiers et administratifs.
Néanmoins, en novembre 2018, la Cour constitutionnelle a rendu un autre arrêt sur le sujet, précisant que le paiement de la TVA effectué entre le 1er juillet 2016 et le 21 mai 2018 était valide.
À la suite des arrêts de la Cour constitutionnelle, le groupe TVA Gaming Ardent (Gaming Ardent) a demandé en 2019 le remboursement d'un solde de TVA de 15,5 millions d'euros pour la TVA payée entre le 1er juillet 2016 et le 21 mai 2018. L'administration fiscale belge a rejeté la demande, qu'elle considère comme contraire à l'arrêt de la Cour constitutionnelle, ajoutant en outre que Gaming Ardent devait 29 millions d'euros de TVA, d'amendes et d'intérêts.
Bien que le montant des amendes imposées ait été réduit par la suite, Gaming Ardent a entamé une procédure judiciaire devant le tribunal de première instance de Liège, affirmant que l'État belge devrait être tenu pour responsable en raison d'une erreur de la Cour constitutionnelle, qui a permis aux dispositions fiscales annulées de rester en vigueur. Un autre argument était que l'État belge était responsable en raison d'une faute législative.
En raison de l'objet unique du litige, le Tribunal de première instance de Liège a posé six questions dans sa demande de décision préjudicielle.
Principales questions de la demande de décision
La principale question soulevée par le Tribunal de première instance est de savoir si le système belge de TVA favorise injustement la loterie nationale en exonérant ses jeux en ligne de la TVA tout en taxant les services de jeux en ligne des opérateurs privés. En outre, la question est de savoir si une telle pratique viole les règles et règlements de l'UE et le principe de neutralité fiscale.
Le Tribunal de première instance a également remis en question le droit de la Cour constitutionnelle de maintenir en vigueur la disposition annulée relative à la TVA, empêchant ainsi les entreprises de demander le remboursement de la TVA payée.
En outre, les questions préjudicielles demandaient à la CJCE de se pencher sur les différences de traitement fiscal entre les services de jeux d'argent en ligne et les services de jeux d'argent traditionnels et de déterminer si ces différences contribuaient à fausser la concurrence. Enfin, si la CJCE estime que les réponses aux questions précédentes sont positives, le Tribunal de première instance demande si les entreprises devraient avoir le droit d'être indemnisées pour les taxes payées à tort.
Article de la directive TVA applicable
Le point central ou l'article de l'affaire est l'article 135, paragraphe 1, point i), de la directive TVA de l'UE, qui stipule que les pays de l'UE peuvent exonérer de la TVA les paris, les loteries et d'autres formes de jeux d'argent, conformément aux conditions et limitations nationales.
Règles nationales de la Belgique en matière de TVA
Les règles nationales de la Belgique en matière de TVA, en particulier l'article 1, paragraphe 14, et l'article 44, paragraphe 3, de la loi sur la TVA, définissent les jeux de hasard ou les jeux d'argent et stipulent que les loteries et autres formes de jeux d'argent sont exonérées de la TVA, à l'exception de celles qui sont fournies par voie électronique.
Importance de l'affaire pour les assujettis
L'importance de cette affaire, en particulier pour les assujettis du secteur des jeux de hasard, réside dans la clarification de la manière dont les exonérations de TVA s'appliquent aux différentes formes de jeux de hasard. En outre, l'affaire souligne pourquoi et comment les pays de l'UE doivent respecter et garantir l'application correcte du principe de neutralité fiscale.
En outre, l'arrêt de la CJCE fournit des informations précieuses aux assujettis sur leurs droits lorsqu'ils paient des taxes en vertu de lois nationales qui ne sont pas conformes aux règles et réglementations de l'UE, y compris le droit de demander un remboursement de la TVA. Toutefois, l'arrêt met également en évidence les limites de ce droit.
Pour les assujettis opérant dans le secteur des jeux d'argent, en particulier dans les environnements en ligne, l'affaire et l'arrêt constituent un moment charnière pour déterminer les obligations et les exigences en matière de TVA et pour préserver une concurrence loyale dans le secteur.
Analyse des conclusions de la Cour
En examinant les questions soulevées, la CJCE a souligné qu'en vertu de l'article 135(i) de la directive TVA de l'UE, les activités de jeux d'argent telles que les loteries ou les paris peuvent être exonérées de la TVA, mais seulement si le pays de l'UE fixe les conditions et les limitations. En outre, le libellé de cet article laisse aux législateurs nationaux la liberté de décider quelles sont les opérations de jeu qui peuvent bénéficier de l'exonération.
Néanmoins, conformément à la jurisprudence de la CJCE, les pays de l'UE doivent respecter le principe de neutralité fiscale, ce qui signifie que des services similaires ne doivent pas être taxés différemment, empêchant ainsi les pays de l'UE de créer des distinctions dans le traitement de la TVA qui pourraient conduire à une distorsion de la concurrence. En outre, la CJCE a souligné que seules les différences significatives influent sur la question de savoir si des services similaires sont taxés de la même manière.
Pour déterminer la similitude entre deux services, les tribunaux doivent évaluer les caractéristiques inhérentes et l'utilisation des services ainsi que leur contexte plus large, y compris la manière dont ils sont fournis et perçus. En d'autres termes, deux services sont similaires s'ils présentent des caractéristiques communes et répondent exactement aux mêmes besoins du point de vue du consommateur moyen.
Si le consommateur moyen ne les considère pas comme interchangeables, une différence de traitement en matière de TVA peut être justifiée. Toutefois, si le consommateur les considère comme interchangeables, un traitement différent des services en matière de TVA pourrait affecter les choix des consommateurs, violant ainsi la neutralité fiscale.
En outre, divers facteurs qui influencent les décisions des consommateurs dans les jeux de hasard, tels que les mises minimales et maximales, les montants des prix, les chances de gagner, les formats de jeu et l'interaction entre les joueurs, doivent être pris en compte pour déterminer si différents services de jeux de hasard sont similaires aux fins de la TVA.
À cet égard, la CJCE a noté qu'en vertu de la législation belge, les loteries se distinguent des autres formes de jeux de hasard par deux aspects essentiels. Le premier est que les gagnants sont déterminés purement par le hasard, sans aucune influence de l'habileté ou des connaissances du joueur. Le deuxième facteur est la période d'attente importante entre l'achat d'un billet et la connaissance du résultat.
En outre, la CJCE a souligné qu'en vertu du droit de l'UE, les juridictions nationales doivent veiller à ce que le droit de l'UE soit appliqué et interprété correctement, en particulier lorsqu'il s'agit de résoudre des conflits entre les cadres juridiques nationaux et de l'UE. En outre, les tribunaux nationaux ne doivent pas utiliser de dispositions nationales qui contredisent les règles de l'UE et doivent appliquer le droit de l'UE sur les dispositions nationales conflictuelles, indépendamment de toute décision de la Cour constitutionnelle nationale de maintenir leurs effets.
De ce point de vue, la CJCE a noté que le principe de neutralité fiscale limite le pouvoir discrétionnaire des pays de l'UE lorsqu'ils mettent en œuvre des exonérations de TVA, de sorte qu'ils ne peuvent pas utiliser les conditions ou les limitations pour rejeter une demande légitime s'ils violent ce principe. En outre, si les tribunaux nationaux concluent que la décision d'une juridiction supérieure est incompatible avec le droit communautaire, ils doivent suivre les interprétations de la CJCE, même si cela signifie qu'ils s'opposent à la juridiction supérieure.
En ce qui concerne le droit au remboursement, lorsque les organismes nationaux perçoivent à tort des taxes en vertu de lois qui violent le droit communautaire, les pays de l'UE sont généralement tenus de rembourser les taxes. Il existe toutefois une exception à cette règle. Dans une situation où le remboursement conduit à un enrichissement sans cause, il peut être refusé. Plus précisément, les remboursements ne peuvent être exigés s'il peut être prouvé que l'assujetti a répercuté la charge fiscale sur d'autres personnes.
Néanmoins, déterminer si un remboursement conduit à un enrichissement sans cause nécessite une analyse économique approfondie.
Décision finale de la Cour
La CJCE a conclu que la législation nationale différenciant l'achat de billets de loterie en ligne et d'autres formes de jeux d'argent en ligne ne viole pas la règle d'exonération de la TVA tant que la différence entre ces formes de jeux d'argent est suffisamment apparente pour influencer le choix du consommateur moyen.
En outre, en vertu du principe de coopération loyale et de la primauté du droit de l'UE, les tribunaux nationaux doivent ignorer toute disposition des lois nationales qui contredit le droit de l'UE. En outre, cette pratique doit être respectée même lorsque les cours constitutionnelles nationales décident de maintenir ces dispositions ou réglementations.
En outre, la CJCE a affirmé que les règles et règlements de l'UE permettent aux assujettis de demander le remboursement de la TVA payée en raison d'une application erronée des règles de l'UE si ce remboursement n'entraîne pas un enrichissement sans cause pour les assujettis.
Enfin, la CJCE a statué que si certains opérateurs bénéficient d'exonérations de TVA illégales, qui sont considérées comme des aides d'État, les assujettis qui ne bénéficient pas des mêmes avantages de l'exonération ne peuvent pas réclamer des dommages-intérêts équivalents à la TVA qu'ils ont payée.
Conclusion
Répondre aux questions du Tribunal de première instance a nécessité une analyse approfondie de plusieurs facteurs clés relatifs aux différentes formes de jeux d'argent et à leurs caractéristiques. Selon la décision de la CJCE, les services de jeux d'argent en ligne peuvent être traités différemment du point de vue de la TVA que les services de jeux d'argent terrestres ou analogiques, car ces deux formes de jeux d'argent sont différentes pour le consommateur moyen.
En outre, la CJCE a une fois de plus souligné l'importance du principe de neutralité fiscale pour que les pays de l'UE puissent exercer leur droit d'imposer des conditions et des limitations nationales aux exonérations générales de TVA pour les paris, les loteries et les autres services de jeux d'argent.
Source: Affaire C-741/22 - Casino de Spa SA et autres contre SPF Finances, Directive TVA de l'UE

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