Affaire C-726/23 de la CJUE : La décision Arcomet Towercranes modifie les règles de TVA intragroupe

Summary
The CJEU's judgment in Case C-726/23, Arcomet Towercranes, clarifies that intra-group profit adjustments based on transfer pricing can be considered services for VAT purposes if genuine services and contractual obligations exist.
Tax authorities can request documentation beyond invoices to verify input VAT deductions, especially when invoices lack detail, but these requests must be necessary and proportionate.
The ruling emphasizes that economic and commercial reality should prevail over formalistic accounting practices, and tax authorities cannot deny deductions based on the perceived necessity or profitability of the services.
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Le 4 septembre 2025, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt important dans l'affaire C-726/23, Arcomet Towercranes SRL contre les autorités fiscales roumaines. Cet arrêt clarifie la manière dont la législation sur la TVA s'applique aux règlements intragroupes fondés sur des ajustements des prix de transfert et précise dans quelle mesure les autorités fiscales peuvent exiger des documents justificatifs pour l'exercice des déductions de la TVA en amont. Cette décision démontre une fois de plus que la directive TVA doit être interprétée en tenant compte de la réalité commerciale et économique plutôt que de pratiques comptables purement formelles.
Faits et circonstances
Le groupe Arcomet est actif au niveau international dans le secteur de la location de grues. Sa filiale roumaine, Arcomet Towercranes SRL, achetait ou louait des grues qu'elle revendait ou louait ensuite à des clients locaux. La société mère belge, Arcomet Service NV, n'était pas une entité holding passive, mais jouait un rôle actif dans l'élaboration des activités commerciales du groupe. Elle est chargée de négocier les contrats avec les fournisseurs, d'organiser le financement, de coordonner les normes d'ingénierie et de sécurité et de gérer les risques commerciaux importants pour le compte de ses filiales.
Pour formaliser cette relation, les entreprises ont signé un contrat le 24 janvier 2012. En vertu de cet accord, Arcomet Belgium s'est engagée à fournir des services centralisés et à assumer les principaux risques du groupe, tandis qu'Arcomet Romania s'est concentrée sur les opérations quotidiennes sur son marché domestique. La rémunération a été déterminée à l'aide de la méthode de la marge nette transactionnelle (MTNT) des lignes directrices de l'OCDE en matière de prix de transfert. L'idée était que la marge bénéficiaire d'exploitation d'Arcomet Roumanie devait rester dans un couloir de -0,71% à 2,74%. Si les bénéfices dépassaient le plafond, l'excédent était transféré à la Belgique ; s'ils étaient inférieurs au plancher, la Belgique dédommageait la Roumanie.
Entre 2011 et 2013, les marges d'Arcomet Roumanie étaient constamment supérieures à la limite supérieure. Cette situation a donné lieu à l'émission de factures de règlement par Arcomet Belgium. Deux d'entre elles ont été traitées comme des acquisitions intracommunautaires soumises à l'autoliquidation, tandis qu'une troisième a été considérée par la filiale roumaine comme n'entrant pas dans le champ d'application de la TVA. À la suite d'un contrôle fiscal, les autorités roumaines ont toutefois rejeté ce traitement. Elles ont fait valoir qu'Arcomet Romania n'avait pas démontré que les services facturés avaient été effectivement rendus et ont donc refusé la déduction de la TVA en amont. Une cotisation supplémentaire, comprenant des pénalités et des intérêts, a été imposée.
Arcomet Romania a contesté cette décision, mais le tribunal de première instance a confirmé la position de l'administration fiscale. En appel, la cour d'appel de Bucarest a posé à la CJUE la question de savoir si de tels ajustements de bénéfices à l'intérieur d'un groupe peuvent être considérés comme une contrepartie aux fins de la TVA et si les autorités fiscales peuvent exiger des preuves autres que les factures pour autoriser la déduction.
Cadre juridique
Le litige doit être compris dans le contexte de la législation européenne en matière de TVA et de la législation nationale roumaine. Au niveau européen, la directive TVA 2006/112/CE établit les principes généraux qui régissent la taxation des services. L'article 2, paragraphe 1, point c), prévoit que "les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d'un État membre par un assujetti agissant en tant que tel" sont soumises à la TVA. Cette disposition couvre un large éventail d'activités, pour autant que deux conditions soient remplies : il doit exister un lien juridique entre le prestataire et le destinataire, et il doit y avoir un lien direct entre le service rendu et la contrepartie payée.
L'article 9, paragraphe 1, fournit d'autres indications. Il définit l'"activité économique" de manière large, en y incluant toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services exercée dans le but de générer des revenus de manière continue. Cette définition englobe non seulement les activités commerciales évidentes, mais aussi l'exploitation de biens corporels ou incorporels. C'est cette définition large qui a toujours été interprétée par la Cour de justice afin de garantir que le champ d'application de la TVA reste complet.
En ce qui concerne les intrants, le droit de déduire la TVA est régi par les articles 168 et 178 de la directive. L'article 168 autorise les assujettis à déduire la TVA sur les services qu'ils acquièrent, mais uniquement dans la mesure où ces services sont utilisés pour leurs propres opérations imposables. L'article 178 ajoute des conditions formelles, notamment l'obligation pour l'assujetti de détenir une facture établie conformément aux règles de facturation de la directive. L'interaction entre ces conditions de fond et de forme a été au cœur de la jurisprudence de la CJUE : la déduction est un principe fondamental de la neutralité de la TVA, mais elle n'est accordée que lorsque les deux conditions sont remplies.
Le droit roumain transpose ces dispositions dans le code fiscal et y ajoute ses propres spécificités. L'une des principales exigences de la législation nationale est que les transactions entre parties liées respectent le principe de pleine concurrence. Ce principe, également intégré dans les règles de prix de transfert, exige que les transactions intragroupe soient évaluées comme si elles avaient été effectuées entre des parties indépendantes. La législation fiscale roumaine donne également aux autorités le pouvoir d'ignorer ou de reclasser les transactions qui n'ont pas de substance économique, empêchant ainsi les entreprises de s'appuyer sur des arrangements artificiels pour obtenir des avantages fiscaux. Il est important de noter que la pratique roumaine permet aux autorités fiscales d'exiger des preuves autres que la facture, telles que des rapports de service ou des documents internes, lorsqu'il existe des doutes sur le fait que les services ont été réellement fournis ou qu'ils sont liés à une activité imposable.
Ce contexte juridique prépare le terrain pour les questions clés de l'affaire Arcomet, à savoir si les ajustements de bénéfices intragroupe liés aux prix de transfert peuvent être considérés comme des prestations de services aux fins de la TVA et si les autorités nationales peuvent légalement exiger des documents autres que des factures avant d'autoriser une déduction.
Analyse et arrêt de la Cour
Pour répondre aux questions posées par la juridiction roumaine, la CJUE a commencé par rappeler les critères fondamentaux permettant d'identifier une prestation de services imposable au titre de la directive TVA. Selon une jurisprudence constante, une prestation de services n'est imposable que s'il existe entre le prestataire et le destinataire un rapport juridique comportant des obligations réciproques et s'il existe un lien direct entre le service rendu et la rémunération perçue. Cela signifie que le paiement doit constituer la contrepartie effective d'un service clairement identifiable.
En appliquant ces principes au contrat du 24 janvier 2012, le Tribunal a constaté qu'Arcomet Belgium avait assumé une série de responsabilités substantielles, telles que la négociation des contrats avec les fournisseurs, la gestion du financement, le contrôle des normes d'ingénierie et de sécurité et la prise en charge des risques commerciaux. Il ne s'agissait pas d'obligations abstraites mais d'activités réelles, identifiables et susceptibles de procurer un avantage économique à Arcomet Romania. En contrepartie, la filiale roumaine s'est engagée à effectuer des paiements déterminés en fonction de sa marge bénéficiaire opérationnelle. Le fait que ces paiements soient liés à une méthodologie de prix de transfert n'a pas modifié leur caractère de TVA. Le facteur décisif est que la rémunération a été convenue contractuellement, basée sur des critères clairs et correspondant à des services spécifiques qui ont conféré un avantage au bénéficiaire. La Cour a souligné que la réalité économique et commerciale doit prévaloir sur les étiquettes comptables : même lorsque le montant à payer est calculé à l'aide de règles de prix de transfert, l'existence d'une prestation de services aux fins de la TVA n'en est pas affectée, à condition que des services soient effectivement fournis.
En ce qui concerne la deuxième question, la Cour a examiné les conditions d'exercice du droit à la déduction de la TVA en amont. Elle a établi une distinction entre les exigences formelles, telles que l'obligation de détenir une facture valide, et les exigences matérielles, qui requièrent que les services aient été effectivement fournis par un autre assujetti et utilisés pour les activités imposables du destinataire. Si les factures sont indispensables en tant que condition formelle, elles doivent également contenir suffisamment de détails pour permettre de vérifier la nature et l'étendue des services. En l'espèce, les factures émises par Arcomet Belgium étaient vagues, ne fournissant aucune description significative des services, aucune indication de l'étendue des travaux effectués et aucune référence aux ressources utilisées. Dans de telles circonstances, la Cour a estimé que les autorités fiscales sont en droit de demander des documents supplémentaires afin d'évaluer si les conditions de fond pour la déduction sont remplies.
Toutefois, la Cour s'est montrée tout aussi claire quant aux limites des pouvoirs des autorités fiscales. Elle a souligné que les contribuables ne peuvent être tenus de prouver la nécessité, l'adéquation ou la rentabilité économique des services qu'ils acquièrent. Le système de TVA ne permet pas aux autorités de remettre en cause les décisions des entreprises ou d'évaluer si un service particulier était justifié d'un point de vue commercial. La déduction ne peut être refusée simplement parce que l'administration fiscale estime que le service n'a apporté qu'une faible valeur ajoutée. Ce qui peut être légitimement exigé, c'est la preuve que le service a été effectivement rendu et qu'il est lié aux opérations de production imposables du bénéficiaire. Une telle exigence doit également respecter le principe de proportionnalité, c'est-à-dire que la charge imposée au contribuable ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour établir que les conditions de fond sont remplies.
Dans ce contexte, la Cour a conclu que les rémunérations intragroupes du type de celles en cause dans la procédure relèvent effectivement du champ d'application de la TVA. Les paiements effectués par Arcomet Romania à Arcomet Belgium n'étaient pas de simples réaffectations de bénéfices, mais constituaient la contrepartie de services fournis dans un cadre contractuel. Par ailleurs, si la possession d'une facture est une condition préalable essentielle à la déduction, elle n'est pas toujours suffisante lorsque les factures ne sont pas suffisamment détaillées. Les autorités fiscales nationales peuvent exiger des preuves supplémentaires, mais uniquement dans la mesure où ces preuves sont nécessaires et proportionnées pour confirmer que les services ont été effectivement fournis et utilisés à des fins imposables.
Dans son arrêt, la Cour a donc jugé que l'article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que les rémunérations intragroupe fondées sur des ajustements de la marge bénéficiaire constituent des contreparties de services en présence d'obligations contractuelles et de services réels. Elle a également jugé que les articles 168 et 178 n'empêchent pas les autorités fiscales de demander des documents autres que les factures, à condition que ces exigences soient limitées à ce qui est nécessaire pour vérifier que les conditions de fond de la déduction sont remplies.
Implications pour la pratique et conclusion
L'arrêt rendu dans l'affaire Arcomet Towercranes comporte des enseignements importants pour les groupes multinationaux. Il confirme que les ajustements de bénéfices effectués dans le cadre d'accords sur les prix de transfert peuvent être soumis à la TVA lorsqu'ils correspondent à des services réels, même s'ils sont calculés selon les méthodes de l'OCDE. Les entreprises doivent donc veiller à ce que les contrats intragroupes soient soigneusement rédigés et étayés par des documents démontrant la réalité des services fournis. Des factures vagues ou génériques ne résisteront pas à un examen minutieux ; des documents détaillés tels que des contrats, des descriptions de services, des rapports ou de la correspondance sont essentiels pour garantir le droit à déduction.
En même temps, la Cour a précisé que les autorités fiscales ne peuvent pas refuser la déduction simplement parce qu'elles considèrent que les services ne sont pas nécessaires ou qu'ils ne sont pas judicieux d'un point de vue commercial. Ce qui compte, c'est que les services soient effectivement rendus et liés à des activités imposables, et non qu'ils soient rentables. Pour les entreprises, cet arrêt souligne la nécessité d'aligner la conformité des prix de transfert sur celle de la TVA afin d'éviter des litiges coûteux.
Enfin, cet arrêt réaffirme deux principes directeurs du système de TVA : la réalité économique et la proportionnalité. Les ajustements intra-groupe liés à des services réels entrent dans le champ d'application de la TVA, et si les autorités fiscales peuvent exiger des justificatifs autres que les factures, ces demandes doivent rester proportionnées. Cette décision apporte donc de la clarté tant aux contribuables qu'aux administrations, en rappelant à toutes les parties que le droit de la TVA doit s'appliquer sur le fond et non sur la forme.
Arrêt de la CJUE du 4 septembre 2025 : Affaire C-726/23, Arcomet Towercranes
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